La Minute Culturelle : La Tentation du Christ

En ce temps-là, Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit le pousse au désert (Mc 1, 12) : Évangile du 1er dimanche de Carême (21/03/2021). 


Dans son Évangile, Marc poursuit « et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan ». L’évangéliste nous emmène ensuite en Galilée, à la suite de Jésus qui va s’engager dans sa prédication …

Nous comprenons donc que Jésus fut emmené dans le désert par l’Esprit Saint pour y être tenté par le démon. Celui-ci va l’attaquer sur un triple terrain : plaisir du corps, recherche de la gloire, soif du pouvoir. 

Vous rappelez-vous les indices que nous vous avions donnés en « apéritif » dans le chapitre précédent (Le Baptême de Jésus) ?

Un fruit attirant, un savoureux plat de lentilles…Vous l’aurez deviné ! la tentation représentée sur la tapisserie LA TENTATION est bien la première : le plaisir du corps … avec la gourmandise ! 

SCENE CENTRALE : LA TENTATION AU DÉSERT

Il nous faut maintenant lire les évangiles de Matthieu (14, 1-11) et Luc (4, 1-13) pour en savoir plus sur ce qu’il s’est passé dans le désert : « Il jeûna durant quarante jours et quarante nuits » (Mt) « Il ne mangea rien en ces jours-là et, quand ils furent écoulés, il eut faim » (Lc). 

Observons la scène :

Deux personnages d’égale stature ; nous reconnaissons le Christ, nimbé des rayons fleurdelisés, et vêtu de la tunique qu’il portera jusqu’à sa passion. Celle-ci flotte autour de son corps ; n’a-t-il pas jeûné pendant 40 jours ? Il parait léger et même dansant, la pointe de son pied arrivant jusqu’à nous. En opposition, dans une lourdeur verticale et figée : l’Adversaire ; on remarque ses pattes, ou serres de rapace, ses cornes de bouc et son sourire fourbe … Ne nous laissons pas séduire par les éclats pervers et froids de l'or qu'il arbore ! Entre ses griffes il tient une pierre qu’il désigne ainsi : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains ». Jésus, nous comprenons qu’il parle à ses mains dressées devant lui, répond « Il est écrit : l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Expérimentant le combat intérieur par la faim, c’est sur la Parole de Dieu, ici puisée dans le Deutéronome (Dt 8,2-3), qu’il s’appuie pour résister au Tentateur. 

Mais à qui donc s’adresse le peintre-cartonnier, auteur de cette image ? Ou plutôt, à quelles instructions obéit-il en présentant la scène telle que nous la voyons ? Le Père Abbé de La Chaise-Dieu, commanditaire des tapisseries pour son abbaye, n’avait-il pas une intention finement malicieuse, à moins qu’elle ne soit très moralisatrice ? le diable est déguisé en moine ! ne nous laissons pas duper par les apparences…l’habit, ici, ne fait pas le moine, mais bien le Père du mensonge !

 Contemplons maintenant le triptyque dans son intégralité : 

De part et d’autre de la scène évangélique, deux épisodes de l’Ancien Testament relatifs à la faute de la chair, dans laquelle on peut voir aussi la convoitise des biens matériels ou l’attrait pour les choses de ce monde. Contrairement à Jésus qui n’a pas cédé à la tentation, les figures bibliques représentées sont emblématiques du péché de gourmandise. Scènes dans lesquelles nous identifierons quelques particularités.


SCENE GAUCHE : LE FRUIT DÉFENDU - Gn 3,1-7

Leur nudité habilement dissimulée, (mais ils n’ont pas encore péché), Adam et Ève succombent à la séduction du serpent. Ève s’apprête à mordre dans un fruit tandis qu’elle en tend un autre à Adam. Celui-ci, de son bras gauche semble le refuser, mais l’accepte en réalité de la main droite. Complices dans la faute. Remarquons l’antique tentateur : il ouvre largement sa gueule d’où sort une tête féminine !!! hideuse du reste. Venimeux, il manipule aussi bien qu’il entortille : « Alors Dieu vous a dit : vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? ».

Quelques particularités méritent d’être soulignées. D’une part, les visages d’Adam et Ève sont ceux du Christ, Nouvel Adam, et de Marie, Nouvelle Ève (Voir la tapisserie L’ANNONCIATION). Toute la théologie chrétienne de l’Histoire du Salut est mise en lumière par le choix de ces portraits ! Rappelons que les dessins du cartonnier sont inspirés de la Bible des Pauvres populaire au XIVe et des enseignements des Pères de l’Église remontant à plus longtemps encore.

Par ailleurs, c’est avec délice que l’on observera les détails du merveilleux décor aux mille fleurs et à la faune abondante et charmante, évoquant le paradis terrestre où l’homme et la femme vivaient en harmonie parfaite avec Dieu, eux-mêmes et l’univers.

Le phylactère correspondant à ce tableau explique :
"Jaloux du bonheur de l’homme, L’Ennemi malin provoquant nos premiers parents par la gourmandise s’en alla victorieux. Avec la même audace, il attaqua le Christ lui-même affamé et se retira vaincu, épuisé et confus."

Sur les rubans de parchemin que désignent les rois et prophètes :
"C’est une pensée perverse que de dresser l’argile contre le potier." (Isaïe 29, 16)
"Mon ennemi a jeté sur moi des yeux effrayants." (Job 16, 9)

SCENE DROITE : ESAÜ ET LE PLAT DE LENTILLES - Gn 3,29-34

Deux jeunes hommes discutent dans une cuisine magnifiquement équipée : sol dallé en damier, boiseries, haute cheminée de pierre, vaisselle en étain…Le chaudron est suspendu à la crémaillère dans l’âtre au-dessus d’un bon feu ; louches et écuelles, ainsi qu’un pichet garnissent les étagères. Remarquons l’effet de perspective très travaillé et renforcé par l’arc en ogive de style gothique flamboyant qui marque l’entrée dans l’office. Le plus jeune garçon est blond et imberbe, tandis que l’autre est roux et poilu ; l’un est vêtu avec raffinement, l’autre porte la panoplie du chasseur avec arc et flèches ; tous deux sont bien chaussés.

Cette scène d’intérieur minutieusement détaillée est particulièrement bien dessinée et harmonieuse. Sa facture est celle d’une main experte, certainement différente de celle du côté gauche plus grossière. Elle est bien caractéristique de l’art flamand des XVe et XVIe. 

Ces personnages sont les fils d’Isaac. « Esaü devint un habile chasseur, courant la steppe, Jacob était un homme tranquille, demeurant sous les tentes. » Tristement célèbre est la faute d’Esaü : rentré bredouille et affamé de la chasse, il troque son droit d’aînesse contre une bonne soupe de lentilles cuisinée par son cadet. Sa gourmandise a été plus forte que son honneur de fils aîné ! 

Le phylactère explique :
"Fatigué Esaü perdit son droit d’aînesse pour une plat de lentilles ; il mangea mais s’en alla dépossédé de son titre d’honneur. En revanche le Christ ne perdit pas sa gloire après un jeûne prolongé, lui qui montra sa puissance divine en chassant le tentateur vaincu."

Les versets font aussi référence à la victoire du Christ :
"L’ennemi n’obtiendra sur lui aucun avantage." (Ps 88, 23)
"En sa présence, le malin a été réduit à néant." (Ps 14,4)

 Catéchèse

Quelle catéchèse retenir de cette tapisserie ?

Le triptyque a pour thème le péché de gourmandise, identifié comme l’un des 7 péchés capitaux. Mais le péché originel n’a pas pour cause la seule gourmandise. Ce serait oublier que Satan défie Jésus de succomber aux tentations du pouvoir et de la gloire, épisodes évangéliques qui n’ont pas d’illustration à La Chaise-Dieu. L’Église et la tradition chrétienne répertorient un grand nombre de fautes, de nature ou de degré divers : capital, vice, véniel, mortel. Au-delà des péchés de gourmandise, d’orgueil, de puissance, c’est la question du péché en lui-même qui est donnée à la réflexion et à la méditation des moines, comme à nous. Aussi peut-on retenir la définition synthétique du Catéchisme de l’Église Catholique selon lequel « le péché est une parole, un acte ou un désir contraires à la loi éternelle. Il est une offense à Dieu. Il se dresse contre Dieu dans une désobéissance contraire à l’obéissance du Christ ». (CEC 1871).

Quelle idée géniale, déjà présente dans les feuillets du Moyen Age dont elle est inspirée, celle de rendre ressemblants les visages d’Adam et de Jésus ! Ainsi l’homme et la femme crées à l’image de Dieu, deviennent-ils, dans le Nouvel Adam confiant et obéissant, vainqueur du péché et victorieux du Mal et de la mort, les « Enfants de Dieu » sauvés et appelés à la vie éternelle auprès du Père ! Jésus est aussi le nouvel Esaü, « aîné d’une multitude de frères » assumant sa double nature de Fils de L’homme et Fils de Dieu. Enfin, en Marie, réplique d’Ève, les théologiens et artistes des siècles passés affirment et transmettent l’insondable mystère chrétien. 

Une fois de plus, le chef d’œuvre de la Chaise-Dieu nous enchante, nous instruit et nous entraine à nous reconnaitre en Jésus-Christ, notre Sauveur et notre Rédempteur, comme fils et filles d’un même Père et en Lui encore, tous frères. Les « draps imagés » sont, décidément, une incroyable catéchèse en bande dessinée !

🧐 Quel sera le prochain triptyque de ce temps de Carême? Peut-être ce détail admirable vous mettra-t-il sur la piste ?

 


Retrouvez les précédents articles ici :
- Introduction
- La Cène
- La Résurrection
- Pâques des Saintes Femmes
- L'apparition à St Thomas
- l'Ascension
- La Pentecôte
- Le Couronnement de Marie
- La Descente aux Enfers
- Le Jugement Dernier
- L'Annonciation
- Le Nativité
- L'Adoration des Rois
- La fuite en Égypte
- Le massacre des Saints Innocents
- Le Baptême de Jésus

Bibliographie :
- Mialon - La Chaise-Dieu, son trésor, son message; Ed La Casadéenne, 1978
- Caillies P.Marie-Bernard, csj - La Chaise-Dieu, Tapisseries et Danse Macabre; Ed La Goelette, 1991
- Amis de l'Abbatiale Saint-Robert de La Chaise-Dieu - La dignité de la femmes dans les tapisseries de La Chaise-Dieu; Ed de Mons, 2019
- Bible de Jérusalem
- Magnificat
- Catéchisme de l’Église Catholique

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