La Minute Culturelle : Le Massacre des Saints Innocents

Aviez-vous identifié les 3 têtes couronnées que nous vous présentions lors du précédent billet ? 

Sans doute devinez-vous quel est le chapitre « gore » qui nous attend maintenant, à la suite de LA FUITE EN EGYPTE … Nous voici donc au MASSACRE DES SAINTS INNOCENTS. Cette tapisserie au contenu tragique clôt la série de « draps imagés » consacrés à l’enfance du Christ.

Les Saints Innocents sont fêtés le 28 décembre et nous rappellent le massacre, sur l’ordre d’Hérode, de tous les enfants de 0 à 2 ans, dans toute la Judée.

Pourquoi ce massacre ?

Rappelons-nous…Hérode a appris que des mages venus d’Orient sont arrivés à Jérusalem à la recherche « du Roi des Juifs qui vient de naitre ». Il « s’émut » nous dit l’Evangile de Matthieu. Nous comprenons que ce sont alors la jalousie, la haine et la suspicion qui envahissent son cœur ; avec les scribes et les grands prêtres, il ne peut mettre en doute cette information parce qu’elle a été prophétisée par Michée « et toi Bethléem…de toi sortira un chef…» (Mi 5, 1). Il donne alors aux mages mission de trouver cet enfant et de l’informer du lieu où il pourra à son tour lui rendre hommage. Mais les mages sont avertis en songe de quitter le pays, sans passer par Jérusalem. Hérode est alors « pris d’une violente fureur et envoya mettre à mort, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants de moins de deux ans. » Entre temps, Joseph, obéissant à l’Ange de Seigneur, a fui en Egypte pour échapper à la tuerie qui mettra Jésus en danger jusqu’à la mort du tyran. (Mt 2).

SCENE CENTRALE : 


 
Voici Hérode couronné, au visage haineux, dirigeant les opérations : 4 soldats à la mine effrayante, équipés d’armures et de casques, munis de glaives s’en prennent aux enfants de sexe masculin avec la cruauté des bourreaux. Aux pieds et dans les bras de mères éplorées, on ne compte pas moins de 6 bébés égorgés ou décapités. Une scène sanglante que l’on peut imaginer emplie de bruits de fer, de cris et de pleurs, mais terriblement muette, dans laquelle nous voyons la domination du fort sur le faible, l’oppression et l’injustice, l’insoutenable règne du mal.
Le phylactère du prophète Jérémie cite l’oracle « une voix plaintive et déchirante s’est fait entendre à Rama. » qui, rappelle Matthieu, s’accomplit alors. (Jr 31 et Mt 2, 18).

SCENE DE GAUCHE : Le massacre des prêtres de Yahvé
 
En arrière-plan nous retrouvons une tête couronnée, à l’air mauvais, et au doigt menaçant : c’est le roi Saûl. Un gigantesque bourreau à la tête caricaturale occupe la moitié de l’image ; il porte l’habit rayé propre à sa fonction dans l’iconographie médiévale, des bottes imposantes et une impressionnante épée dont on devine la lourdeur, telle qu’il la tient à deux mains. Les victimes sont nombreuses, visages doux, mains priantes ; la première a les yeux bandés et offre son cou à la décapitation. A ses genoux gisent déjà des corps décollés dont on observe les vaisseaux sanguins tranchés. Une scène cruelle qui nous rappelle de barbares atrocités encore existantes à notre époque.

Le texte du cartouche (au-dessus) explique : « 85 prêtres de Seigneur, au pouvoir de Saul, furent massacrés à Nob à cause de David. » En effet, le livre 1 de Samuel, raconte à partir du chapitre 8 l’histoire de Saul sacré roi du peuple d’Israël par Samuel, puis la guerre impitoyable que Saul mène contre le jeune David qui sera son successeur de par la volonté de Yahvé. Le récit se lit comme un thriller. On apprend que David fuit la colère de Saul qui par jalousie contre lui, le « fils de Jessé », fait « massacrer 85 hommes qui portaient le pagne de lin » (les prêtres), et bien plus « Saul fit passer au fil de l’épée, hommes et femmes, enfants et nourrissons, bœufs, ânes et brebis » (1 Sam 22, 18-19)

SCENE DE DROITE : Le massacre de la descendance royale de la Maison de Juda

Ici une tête féminine préside à la tuerie ; elle est élégante et fière mais tyrannique et implacable : c’est Athalie, reine mère, qui fait exterminer la descendance royale de son défunt fils pour régner sur le pays de Juda. Mais Joas est exfiltré par sa sœur et caché dans le Temple de Yahvé jusqu’à ce que son heure soit venue, au bout de sept années, de chasser et éliminer la reine illégitime, pour revenir à la tête d’Israël. 

Le texte du cartouche (au-dessus) explique : « Pour régner, Athalie massacra tous les enfants de son fils, à l’exception du tout-petit que Josabeth (sa sœur) sauva en cachette et fit élever. » (2 Ch 22, 10-12). Le 2ème livre des Chroniques est le récit captivant du règne de Salomon, fils de David et de ses successeurs : histoire du peuple de Yahvé passant par toutes sortes de guerres, trêves, invasions et autres rebondissements.
Aussi voit-on sur cette scène, obéissant à la souveraine usurpatrice, un égorgeur immonde décapiter une 3ème petite victime de la lignée royale. Et dans le dos de l’insensible Athalie, Joas bébé, soustrait au massacre est mis par Josabeth, sa sœur, au sein d’une nourrice. Remarquons les coiffes des deux jeunes femmes, représentatives de leur rang.

 Catéchèse

Quelle catéchèse retenir de cette tapisserie ?

Ces trois images sont on ne peut plus insupportables, et dénoncent l’empire de l’imposture et du crime, la victoire des forts sur les innocents et les plus faibles, l’impuissance devant l’injustice et la souffrance, et ce, quelles que soient les époques. Mais faut-il s’arrêter à ce terrible constat ? Le mal serait-il le grand vainqueur dans l’histoire des hommes ?

Comme nous l’avons déjà vu avec les tapisseries antérieures, chaque panneau de la Chaise-Dieu se présente sous forme d’un triptyque : la scène centrale du Nouveau Testament est encadrée par deux scènes de l’Ancien Testament. Nous sommes invités, comme les moines autrefois, à voir dans les scènes de l’Ancien Testament une préfiguration du Nouveau Testament. Ici, le massacre de l’Evangile est annoncé par deux massacres dans l’histoire du Peuple d’Israël.

Les préfigurations et leur sens :
Les cartouches, situés au-dessus des images, apportent chacun un éclairage particulier au rapport qui relie chaque scène latérale avec la scène centrale.

1)    Le cartouche côté gauche désigne la raison des massacres avec l’expression « à cause » :
« 85 prêtres du Seigneur furent massacrés à Nob sur l’ordre de Saul à cause de David ; de même, les petits-nouveaux nés furent, sur l’ordre d’Hérode, mis à mort à Bethléem à cause du Christ ».
« A cause de David », « à cause du Christ » : les cibles (David, le petit Joas, Jésus) sont désignées et pourtant les victimes sont les prêtres, les petits de la descendance de Juda, les bébés de Bethléem... David, le petit Joas, Jésus seraient-ils responsables des massacres qu’ils auraient provoqués ? N’est-ce pas plutôt parce que leurs cibles leur échappent que Saul, Athalie, Hérode s’en prennent à des innocents dont ils font leurs victimes ?
 
2)    Le cartouche côté droit désigne ceux qui échappent aux massacres avec l’expression « sauf le… » :
« Afin de régner, Athalie fit tuer tous ses petits-fils, sauf le plus jeune que Josabeth sauva ; ainsi Hérode fit tuer les petits enfants de Bethléem, sauf le Christ que sa mère emmena en Egypte. »
« Sauf le plus jeune que Josabeth sauva », « sauf le Christ que ses parents emmenèrent en Egypte » : les cibles, incapables de se sauver par elles-mêmes sont sauvées par un intermédiaire (le prophète Gad dit à David : « ne reste pas, va-t’en et enfonce toi dans le pays de Juda » 1Sam 22, 5), un proche (la sœur de Joas) ou l’action de Dieu (l’Ange du Seigneur). Pour David, Joas, Jésus, Dieu a un dessein, que nous apprennent les Écritures.

Les massacres et après ?
Nous constatons, que les auteurs du mal sont à chaque fois clairement désignés : Saûl, Athalie et Hérode, responsables et commanditaires des massacres ; leurs raisons sont la jalousie, le désir de pouvoir, l’orgueil ; leurs moyens sont le mensonge, la manipulation, la violence.

Les Livres de La Bible nous apprennent qu’après les massacres, et la mise à l’abri de celui qu’Il a choisi, Dieu manifeste sa présence et son dessein se réalise : David deviendra le roi d’Israël (1 Samuel  24 et suivants), Joas règnera à Jérusalem (2 Chroniques 23 et suivants) et Jésus sera ramené sain et sauf d’Egypte en Judée d’où il poursuivra sa mission de « Roi des Juifs » (Mt 2,19-23). Que David, Joas et Jésus appartiennent à la filiation de Jessé et se succèdent comme rois du Peuple de Dieu fait aussi partie de la relation entre Ancienne et Nouvelle Alliance.

Ce en quoi l’Evangile est l’accomplissement de l’Ancien Testament :
Les rois David et Joas, comme tous ceux de la lignée reçoivent l’onction royale dans le Temple de Jérusalem qui renferme l’Arche d’Alliance : autant de symboles qui annoncent l’avènement du Roi des Juifs. Mais les règnes de l’Ancien Testament sont des épisodes de pouvoir humain, limités dans le temps. La royauté de Jésus, elle, ne sera pas reconnue mais parodiée sur le bois de la croix et son règne parce qu’Il ressuscite, est éternel au côté de son Père dans les cieux. 

Aussi, les bébés victimes de Judée sont-ils non seulement « Innocents », mais encore « Saints » parce que, massacrés à cause du Christ, ils sont aussi sauvés par le Christ. Ils reçoivent de Celui qui dès le berceau de la crèche offre sa mort pour tous, le Salut et la Vie éternelle. Ainsi, premiers martyrs, ils sont aussi les premiers « Saints » de l’histoire chrétienne.

En conclusion, nous pouvons dire que la tragique tapisserie LE MASSACRE DES SAINTS INNOCENTS nous introduit dans le grand mystère du mal pour nous conduire à accueillir la Bonne Nouvelle de la venue du Sauveur et de la Vie éternelle. Catéchèse pour les moines du XVIe siècle, les « draps imagés » de La Chaise-Dieu continuent de nous émerveiller et de nous instruire.

🧐Vous retrouverez ces détails charmants sur la prochaine tapisserie. Devinerez-vous son thème ?


Merci beaucoup à Isabelle Thiriez pour le temps passé à rédiger ces exposés ! Retrouvez les précédents articles ici :
- Introduction
- La Cène
- La Résurrection
- Pâques des Saintes Femmes
- L'apparition à St Thomas
- l'Ascension
- La Pentecôte
- Le Couronnement de Marie
- La Descente aux Enfers
- Le Jugement Dernier
- L'Annonciation
- Le Nativité
- L'Adoration des Rois
- La fuite en Egypte

Bibliographie :
- Mialon - La Chaise-Dieu, son trésor, son message; Ed La Casadéenne, 1978
- Caillies P.Marie-Bernard, csj - La Chaise-Dieu, Tapisseries et Danse Macabre; Ed La Goelette, 1991
- Amis de l'Abbatiale Saint-Robert de La Chaise-Dieu - La dignité de la femmes dans les tapisseries de La Chaise-Dieu; Ed de Mons, 2019
- Bible de Jérusalem
- Magnificat
- Catéchisme de l’Église Catholique

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