La Minute Culturelle : La Cène

Temps liturgique oblige, ce premier billet de "La Minute Culturelle" sur les tapisseries de l'Abbaye de la Chaise-Dieu est consacré à la tapisserie représentant la Cène.


La Cène


PARTIE GAUCHE : MELCHISEDECH et ses OFFRANDES - Gen14(17-20)


On voit ici la rencontre d’un évêque et d’un chef militaire. Admirons l’aube pourpre à franges, la chape et la mitre dorées de l’évêque ; l’armure complète et précisément dessinée du chevalier, avec cotte de mailles, casque à visière, genouillères et poulaines, épée dans son fourreau ... Derrière ce personnage, d’autres hommes armés de la tête au pied et portant des oriflammes. Les éléments d’armure sont représentés en dégradés de bleu à effets de reflets métalliques.
L’évêque est Melchisédech, Roi de Shalem (la tradition juive identifie Shalem avec Jérusalem) et prêtre du Dieu Très-Haut. L’homme d’arme est Abram (pas encore Abraham) qui s’est allié à une coalition de rois guerriers pour récupérer son neveu Lot, enlevé, et ses biens. Melchisédech vient honorer le vainqueur qui le salue d’une génuflexion, et il apporte du pain et du vin (magnifique pichet d’étain) en prononçant cette bénédiction : « Béni soit Abram par le Dieu Très-Haut qui créa le ciel et la terre, et béni soit le Dieu Très-Haut qui a livré tes ennemis entre tes mains».

Le texte (au-dessus de l’image) : « Melchisédech, Roi de Salem et prêtre du Dieu Très-Haut apporta autrefois au fidèle Abraham le pain et le vin. De même le Christ, sous les signes du pain et du vin s’est donné à manger désormais à ses disciples.»

Les versets (rubans) : « L’homme a mangé le Pain des Anges » Ps 78(23-25) / «Venez, mangez mon pain et buvez le vin que je vous ai préparé» Pr 9 (5)

La catéchèse : Melchisédech le grand prêtre a offert en sacrifice le pain et le vin à Abram ; ainsi le Fils de Dieu, lui-même roi et prêtre, s’offre lui-même en sacrifice à Dieu son père sous la forme de l’hostie lors de la messe. On retrouvera cette référence à l’offrande et au sacrifice de Melchiseédech dans la prière eucharistique de nos messes.


PARTIE DROITE : MOISE et le PAIN DU CIEL - Ex 16(1-21)


On voit ici un groupe d’hommes et 2 enfants sous des flocons blancs qui descendent. Le personnage principal, habillé majestueusement d’une grande cape dorée sur une robe damassée et muni de son bâton, est Moise. Il est reconnaissable à ses cornes*. A sa droite, se trouve Aaron, coiffé d’un chaperon rouge, avec lequel il semble communiquer. Derrière eux de nombreuses têtes serrées pour figurer la communauté des Israélites parmi lesquels se trouve un homme noir à turban et boucle d’oreille grelot. (La présence de 2 figures d’origine africaine est surprenante).
Les flocons représentent le don de Yahvé «Je vais faire pleuvoir pour vous du pain du haut du ciel», ce pain donné à satiété qui sera appelé «manne», et qui sur la surface du désert apparait comme «quelque chose de menu, de granuleux, de fin comme du givre». Les deux personnages plus petits semblent des jeunes filles coiffées de turbans; l’une parée et bijoutée, l’autre, de couleur noire, habillée beaucoup plus simplement. Chacune porte un panier qu’elles emplissent de leur récolte blanche.

Le texte (au-dessus de l’image) : « Quand les Israélites ramassaient de la manne, celui qui la trouvait n’en ramassait pas plus que sa ration. Ainsi celui qui reçoit le corps du Christ sous l’apparence du pain, ne reçoit pas plus que ce dont il a besoin.»

Les versets (rubans) : «Il les a rassasiés du Pain du ciel» Ps105(40) / «C’est un pain tout préparé que du ciel tu leur as fourni inlassablement, un pain savoureux.» Sg16 (20-21)

La catéchèse : Dieu a nourri le peuple d’Israël avec la manne, et il continue de nourrir ses enfants du Pain du ciel, Pain véritable qui rassasie, Pain de vie, Pain éternel.

* Pourquoi Moise a-t-il des cornes ? Cet attribut lui est donné dans l’iconographie médiévale et classique, et repris par Chagall. Il est inspiré du terme «coronatus», corne, employé dans la Vulgate, version latine de la Bible, traduite par St Jérôme entre 390 et 405. Différentes interprétations : soit St Jérôme aurait lu Keren (cornu) dans le livre hébraïque au lieu de Karan (rayonnant). En effet, le visage de Moise était rayonnant quand il est descendu du Sinaï. Soit St Jérôme aurait traduit en latin le mot keren du texte d’origine. En effet, Moise était descendu cornu de la montagne : la corne était pour les mésopotamiens le signe de la puissance divine.


PARTIE CENTRALE : LE REPAS EUCHARISTIQUE

La Cène à elle seule occupe la plus grande partie du triptyque :


Le Christ trône à la place centrale, et domine par sa haute stature enveloppée d’une simple tunique blanche ; sa tête rayonne, telle un ostensoir, sur fond de couleur azur. Le regard du Fils de Dieu vient jusqu’à nous.
Autour de la table, les Douze ; ils sont tous (sauf Judas) auréolés d’or et de pierres précieuses, richement vêtus (tissus damassées ou moirés, fourrures) et très expressifs : on reconnait Pierre avec sa barbe bouclée à droite de Jésus et le jeune Jean, imberbe, à gauche.
La gestuelle et les jeux de regard sont très amusants à observer et très anecdotiques. Judas est au 1er plan ; par l’effet de perspective inversée, il semble enfoncé ; on remarque sa bourse dans son dos, gonflée des pièces d’argent qu’il a déjà gagnées en échange de son vil marché.
Sur la table de La Pâque, aucun mets ou vaisselle ; l’objet posé devant Jésus est-il un calice ? En revanche, on ne peut pas ne pas repérer les 2 couteaux et l’usage qu’en font 2 des convives : l’un se cure les dents, l’autre l’essuie à la nappe !
Quel instant des Evangiles est donc représenté ? La description du dernier repas de Jésus avec ses disciples diffère selon les évangélistes. Il est difficile de rapporter ici la scène à un récit en particulier. L’artiste a fait un choix personnel dans la représentation de ce dernier repas ou Saint Sacrifice de l’autel. L’observation du visage et des gestes de Jésus d’une part, et des regards et mains des apôtres d’autre part, laissent penser que Jésus vient d’annoncer la trahison de Judas et qu’il prononce les paroles eucharistiques « Prenez et mangez, ceci est mon corps ».
Les onze sont inattentifs, embarrassés et suspicieux « ils devinrent tout tristes et lui dirent l’un après l’autre, serait-ce moi Seigneur ?» ; ils regardent Judas en coin ou le désignent du doigt. Judas, lui, semble déjà passé à l’étape qui suivra : la livraison de l’ami (regard vers l’extérieur).
Les disciples entendent-ils les paroles de Jésus ? Seul, Le Messie est entièrement concentré dans l’offrande de sa vie donnée en sacrifice et présentée sous l’apparence de l’Hostie (et non d’un morceau de pain). Son regard va au-delà du cercle des disciples et des circonstances du moment. Il y a un décalage entre l’attitude hiératique de Jésus qui est montré dans sa dimension de Fils de Dieu ou de «Christ» et l’agitation des Douze qui sont très concrètement dans l’instant même de la scène et n’en saisissent pas le sens sacrificiel et intemporel.

La catéchèse : Plus que le «Dernier Repas», ce qui est représenté ici bien précisément est «l’institution de l’Eucharistie», première messe laissée en mémorial, sacrement sacerdotal. Cette tapisserie contient 2 aspects du Jeudi Saint : le sacrifice eucharistique et la trahison de Judas. Ce choix iconographique a un sens : il attire l’attention des moines d’une part sur l’institution de l’Eucharistie, « Ceci est mon corps donné pour vous, faites ceci en mémoire de moi », d’autre part sur les attitudes des disciples.
Ainsi, les moines sont invités à entrer dans la méditation du mystère eucharistique, célébration sacramentelle à laquelle ils sont conviés, et prévenus contre un comportement d’inattention ou peccamineux qui serait regrettablement semblable à celui des Douze.


Voilà ! Cette première "Minute Culturelle" est terminée ! Nous espérons que cet exposé vous a plu. N'hésitez pas à nous laisser un commentaire pour nous dire ce que vous en pensez.
Un grand merci à Isabelle T. pour tout le travail effectué.
La semaine prochaine, nous enchaînerons avec la tapisserie représentant la Résurrection ...

Crédit photo : ©La Casadéenne

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