La Minute Culturelle : Pâques des Saintes Femmes

Le panneau que l’on appellera PÂQUES DES SAINTES FEMMES se distingue de l’ensemble des 80 mètres linéaires de la tenture par sa longueur exceptionnelle et sa composition en quatre scènes au lieu de trois : deux scènes évangéliques et, de part et d’autre, deux scènes de l’Ancien Testament.
Particulièrement remarquable, « L’apparition du Christ à Marie-Madeleine » est considérée comme l’un des fleurons par la qualité de son exécution et l’intensité de couleurs des fils de laine, soie et lin. Croirez-vous que les lissiers mettaient un an pour confectionner la surface d’un mètre carré de tapisserie ?


 Les scènes évangéliques :

 PARTIE GAUCHE : LES SAINTES FEMMES ET LE TOMBEAU VIDE - Mt28(3-7); Mc16(1-8); Lc24(1-8); J20(11-12)




Un sarcophage vide et rutilant, deux anges assis à ses extrémités, les bustes de trois élégantes figures féminines attirent le regard. La scène est comme enchâssée dans un reliquaire que constituent les deux colonnettes torsadées qui l’encadrent et les bandeaux ornés tels des bas-reliefs en métal dorés.

Le sarcophage est un véritable bijou en or serti de pierres ; on n’en voit pas le couvercle tout comme il n’y a pas de pierre roulée ni de tombeau. Les évangiles rapportent la présence d’un ange ou deux jeunes hommes au vêtement éblouissant ; ici deux anges sont assis sur les rebords, l’un à la tête l’autre au pied, l’un vêtu de rouge, l’autre de bleu, tous deux blonds aux ailes déployées. Avec la même gestuelle, les mains au doigt tendu l’une vers le bas et l’autre vers le haut, ils expriment bien les paroles « il n’est pas ici, il est ressuscité » que leur attribuent Matthieu, Marc et Luc ; et on voit posé sur le côté du coffre un linge qui rappelle le linceul.

Dans la clarté du matin, les saintes femmes, élégamment vêtues, apportent les aromates dans de ravissants vases ciselés ; penchées sur le sépulcre, elles pleurent.  Deux sont nimbées d’une auréole, et la plus affligée, aux longues tresses, est Marie, celle qui avait essuyé avec ses cheveux les pieds de Jésus chez Simon. On retrouvera cette Marie de Magdala dans la scène suivante.

 PARTIE DROITE : JÉSUS APPARAIT À MARIE-MADELEINE - J20(14-18)


Ce tableau ressort avec son harmonie de teintes rouges ou roses. Les motifs végétaux et animaux très présents et d’une grande variété composent un écrin autour des deux figures centrales : Marie de Magdala et Jésus ressuscité. 

Délimité par un portillon et une barrière de bois qui dessine une courbe, le jardin clos est un merveilleux Eden dans la douceur et luminosité printanières. Les arbres sont chargés de fruits mûrs, les colombes picorent les grenades ; le parterre aux mille fleurs (pâquerettes, roses blanches, campanules, digitales, églantines) est animé de chien et lapins qui gambadent.

Le Christ avec sa bêche est le jardinier de cet extraordinaire paradis. On le reconnait à sa couronne de lys et aux marques de la passion. De la main droite il semble toucher ou écarter le front de Madeleine ; de la gauche il ramène à lui un pan de son manteau ornemental tandis que l’autre pan se déploie somptueusement dans son dos.

Marie de Magdala agenouillée est une dame d’une infinie grâce et beauté. Son vêtement est royal : lourde robe d’apparat en velours rouge et galonné sur une jupe aux broderies d’or, plastron d’hermine bordé de perles, manches d’une incroyable fluidité, gorgerette d’une blancheur éclatante, délicat filet enserrant les cheveux, mince collier soulignant le cou et le visage d’une exquise finesse. Elle présente un flacon, de parfum sans doute, qui rappelle le nard pur de grand prix qu’elle avait apporté déjà à Béthanie. Le Christ maintient à distance avec douceur celle qui a le privilège d’être la première à le voir ressuscité. Le "couple" ainsi formé par Jésus ressuscité et Marie Madeleine inspirera de très nombreux artistes de l’époque moderne sous l’appellation « noli me tangere » (« Ne me touche pas »).

 Les scènes de l'Ancien Testament :

 PARTIE GAUCHE : RUBEN et la CITERNE VIDE - Gn 37(12-30)

Au 1er plan, un puits béant, (en perspective inversée) et un homme qui déchire son vêtement ; derrière lui une campagne avec collines, troupeau et château féodal. 

Ce berger à la houlette, couvert d’une longue pelisse à plis épais et d’un chaperon, est Ruben, fils de Jacob. Devant la citerne vide il pleure la disparition de son jeune frère Joseph et il déchire son manteau en signe de douleur et de désespoir. Le paysage où paissent ses moutons se prolonge dans la scène évangélique voisine.

Le texte : « Ruben, trouvant vide la citerne dans laquelle avait été jeté son frère, déchira ses vêtements de tristesse ; de même, Madeleine, se penchant sur le tombeau sans y voir le Seigneur, dans une douleur extrême, éclata en sanglots. »

Les versets :
« J’ai cherché celui que mon cœur aime » Cant 3
« Ils chercheront le Seigneur, leur Dieu » Jr 50 (4)

Catéchèse :
Ruben, comme Marie Madeleine, ont été désolés en constatant la disparition de l’être aimé qu’ils croyaient mort. Joseph, qui aura une longue descendance dont le Livre de l’Exode raconte l’histoire, est déjà une préfiguration du Christ.

 PARTIE DROITE : DARIUS RETROUVE DANIEL - Dan 6

C’est étonnant, cette partie droite de la tapisserie tient une place importante et on y retrouve la prédominance des tons rouges de l’Apparition du Christ à Marie de Magdala de la même façon que la partie gauche du panneau est davantage dans les tons marrons et or…y a-t-il quelque chose à comprendre ? La primauté de la joie sur la tristesse ? de la vie sur la mort ?

Par un curieux effet de perspective, le 1er et le 2ème plan, l’intérieur et l’extérieur se confondent ici avec une architecture en angle très imposante : la prison ou cage qui représente la « fosse aux lions » dans laquelle a été jeté le prophète Daniel. On en voit les murs épais, les barreaux impressionnants et les ferrures et serrure de porte aux reflets métalliques.

Le jeune Daniel est debout entouré de trois lions qui se veulent féroces avec leurs grandes gueules. Mais ces lions à ses pieds sont doux comme des moutons !

Dans une cape royale en damas doublé d’hermine avec col et manches de fourrure, Darius, roi des Mèdes et des Perses tient un sceptre dans une main, une clef dans l’autre. Il parait en conversation avec deux personnages dont les mains parlent, ses « satrapes » ou conseillers jaloux qui l’ont contraint à jeter Daniel aux lions. Que se passe-t-il ? Darius se réjouit de retrouver Daniel épargné par les fauves, car Daniel, prophète prodigieux qui lui est dévoué est aussi le « serviteur du Dieu vivant » et Dieu l’a bien protégé de la mort.

Le texte
« Le Roi Darius s’approcha de la fosse aux lions où Daniel avait été jeté : dès qu’il l’aperçut vivant, il déborda de joie ; de même, Madeleine gagna le lieu où le Christ avait été enseveli ; dès qu’elle reconnut le Seigneur ressuscité, un immense bonheur l’envahit. »

Les versets (dans les mains du psalmiste David, en pieds tout à droite) :
« Que se réjouisse le cœur de ceux qui cherchent le Seigneur » Ps 105
« Qu’ils trouvent leur joie en Toi ceux qui te cherchent » Ps 70

Catéchèse :
Darius et Marie Madeleine sont dans la joie car ils retrouvent vivant celui qu’ils croyaient disparu ou mort à tout jamais : Dieu est un Dieu de Vie, le Salut donné par Dieu est plus fort que la mort. La résurrection annoncée est un mystère de la foi.

 Détails historiques :
Respectivement au-dessus et au-dessous de la scène du tombeau vide, on peut remarquer la présence de deux blasons armoriés :

   •  le blason aux cinq fuseaux blancs sur fond d’azur (surmonté d’une mitre) de Jacques de Sennecterre, Père Abbé de la Chaise-Dieu, commanditaire et donateur des tapisseries ;

   •  le blason aux lys de France or sur fond d’azur du Roi de France.



Les tapisseries ont été commandées par le Père Abbé de Sennecterre en 1501 et installées dans le chœur de l’Abbatiale St Robert de Turlande en 1518.
En 1501, le roi de France est Louis XII qui meurt tout début janvier 1515. Son cousin François 1er est sacré roi le 25 janvier 1515.

La semaine prochaine la "Minute Culturelle" présentera la tapisserie consacrée à St Thomas. Merci à Isabelle T. du temps consacré à ces exposés.
Retrouvez les précédents articles ici :
- Introduction
- La Cène 
La Résurrection

Crédits Photo
  • tapisserie entière et détails : (c)Theo Baulig Little Factory 
  • Marie-Madeleine : (c)Didier Gualeni

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