La Minute Culturelle : l'apparition à St Thomas

A la suite des deux tableaux « La résurrection » et « Pâques des Saintes femmes », voici la 3ème scène du Temps pascal avec « L’apparition à Saint Thomas ».

Rappelons que les choix thématiques et iconographiques viennent probablement du Père Abbé de Sennecterre dans une intention artistique et didactique, et que les tapisseries étaient « déconfinées », déroulées et suspendues en un immense ruban de tenture dans le chœur, lors des grandes fêtes liturgiques. Les chefs-d’œuvre que nous admirons aujourd’hui étaient donc donnés au regard et à la prière des moines durant tout le temps de Pâques.

Les évangiles relatent que Jésus Ressuscité s’est fait connaitre aux disciples en différentes circonstances. Jean donne un récit particulier des apparitions de Jésus après sa mort « le premier jour de la semaine », puis « huit jours plus tard ». C’est précisément la 2ème partie du récit qu’illustre ce panneau de tapisserie.

On retrouve ici l’organisation picturale et catéchétique sous forme de triptyque : ce que « l’Ancien Testament a promis, le Nouveau Testament l’a fait voir ; ce que celui-là annonçait de façon cachée, celui-ci le proclame ouvertement comme présent. C’est pourquoi l’Ancien Testament est prophétie du Nouveau Testament ; et le meilleur commentaire de l’Ancien Testament est le Nouveau Testament » selon les Pères de l’Église, et précisément ici St Grégoire le Grand.

 

PARTIE GAUCHE : JOSEPH SE FAIT CONNAÎTRE DE SES FRÈRES - Gn 45

Un personnage richement habillé, portant un somptueux manteau à plastron d’hermine, élégant chapeau rouge et grand collier d’or : c’est Joseph, fils de Jacob, qui sorti de la citerne, avait été vendu par ses frères à des marchands en route pour l’Egypte (Gn37). En récompense de Pharaon pour ses prodiges, Joseph a été nommé ministre (d’où le collier d’or).  L’Egypte est devenue un pays d’abondance, raison pour laquelle Jacob y a envoyé ses fils en temps de famine.
Les hommes que nous voyons nombreux (et vieillis) sont les frères de Joseph : alors qu’ils sont apeurés, Joseph leur révèle son identité, les reçoit, les comble de présents.

L’enfant frêle dans sa robe orange à lacets et ceinture rouges, est Benjamin. Benjamin est le 11ème et dernier frère de Joseph. Après bien des péripéties et des pourparlers, Jacob et ses fils seront établis en Égypte par Joseph. Avec leur descendance, ils constitueront ce peuple d’Israël (nouveau nom de Jacob - Gn35(10)). Peuple qui dans le Livre de l’Exode, sera sauvé et reconduit par Yahvé en Canaan. (C’est toute l’Histoire du Salut qui se joue dans ces pages des livres de la Genèse et de l’Exode).

Le texte :
 Joseph voyant ses frères effrayés, se fit connaitre à eux et dit : « approchez-vous de moi ».
Ainsi le Christ, constatant que ses disciples étaient troublés, se manifesta à eux et dit : « ne craignez pas »

Les versets :
« C’est moi-même qui vous consolerai » Is 51(12)
« Je les consolerai et les réjouirai après leur peine » Jr 31(13)

La catéchèse :
Comme Joseph a réconforté ses frères, comme Jésus ressuscité est allé au-devant des disciples, le Seigneur vient à ses enfants pour les apaiser et les fortifier dans leurs doutes, leurs fragilités, leur manque de foi.


PARTIE DROITE : L'ÂNESSE DE BALAAM - Nb 22

Au 1er plan, un homme qui bat son âne ; au 2ème plan, un ange armé d’une épée dans un jardin.

Cet homme est Balaam. Remarquons son magnifique manteau en épais damas rouge et argent avec col et manches de fourrure, son superbe chapeau à pompon et sa botte munie d’éperon. Avec un rictus de colère, il bat violement sa monture. Balaam est un augure qui se rend chez le Roi de Moab, à sa demande.

L’âne est une ânesse. A demi couchée, le cou tendu, elle refuse d’avancer, têtue comme une mule, et elle ne braie pas de toutes ses dents, elle parle !

En effet, l’ânesse résiste à l’ordre de son maitre. Elle a vu l’Ange de Yahvé que lui n’a pas remarqué. Par 3 fois, l’Ange se dressera au-devant de Balaam et par 3 fois Balaam donnera du bâton, jusqu’à ce que l’ânesse, puis l’Ange prennent la parole pour le morigéner ! Il comprendra enfin que c’est Yahvé, par le geste de l’Ange, qui lui barre la route. L’ânesse, elle, avait bien compris ce que Balaam dans son aveuglement voulait ignorer ! (le récit est savoureux).

Le texte :
L’Ange apparut plus vite à l’ânesse qu’à Balaam, qui dans sa cupidité voulait maudire les Israélites. (Or Yahvé ne voulait pas que Balaam maudisse les Israélites contre son gré).
Ainsi, le Christ apparut aux autres avant qu’à St Thomas parce que celui-ci était trop lent à croire.

Les versets :
« Tu m’as établi pour toujours en ta présence » Ps41(13)
« Je le conduirai et je le consolerai » Is 57 (18)

La catéchèse :
Balaam et Thomas (qui se ressemblent) se montrent lents à comprendre et à croire, butés et inflexibles dans leur scepticisme. Les disciples, eux, tels l’ânesse ont accepté de croire, sans résister, à la présence du Dieu vivant. Comme eux, accueillons avec foi La Parole et La Vie qui viennent de Dieu.


PARTIE CENTRALE : JÉSUS APPARAÎT À ST THOMAS - Jean 20(19-31)



Occupant toute la surface centrale, nous voyons des éléments d’architecture qui enserrent un groupe de personnages parmi lesquels Jésus ressuscité et St Thomas.

Il s’agit d’une habitation représentée avec un souci de perspective et de réalisme : murs en maçonnerie, toiture d’ardoises avec cinq lucarnes, décor sculpté en dentelle de pierre de type gothique, porte avec clous et serrure, et une imposante croisée sans verre ; voila « la maison » dont « les portes étaient verrouillées ».

Derrière les meneaux, Jésus et le disciple Thomas. On reconnait la chape en damas pourpre, et le pagne raffiné du Ressuscité (voir les tapisseries antérieures), qui porte les lys royaux et les marques de la passion. Il lève la main droite dans le signe de la bénédiction et ramène sa main gauche vers son côté percé. Saint Thomas, dans un mouvement de génuflexion, magnifiquement habillé, auréolé, a une belle tête aux traits fins et à la barbe longue et dessinée avec minutie. Il donne sa main à Jésus qui la plonge dans son coté ouvert.

La maison fermée par une porte pleine est « blindée » dirait-on aujourd’hui ! On se demande bien comment les occupants nombreux peuvent tenir dans un si petit espace ! Et comment Jésus peut-il se tenir à l’opposé de la porte, sinon en étant passé à travers les murs ? Il est bien « là au milieu d’eux », « alors que les portes étaient verrouillées ». Eux, la plupart dans la pénombre, et lui en pleine lumière. Les disciples sont au nombre de onze, on reconnait Pierre avec sa barbe bouclée blanche et le jeune Jean imberbe ; plusieurs apparaissent avec de drôles d’expressions grimaçantes personnalisées et ils portent tous une auréole. Les regards de Thomas et Jean sont particulièrement expressifs. Et, comme cela est surprenant, il faut scruter la scène, on aperçoit à l’arrière un visage noir aux yeux fixes qui nous regardent ! Il ne porte pas d’auréole, il ne correspond à aucune mention évangélique ; il rappelle les étonnants personnages de race noire que l’on remarque dans la tapisserie de la Cène (coté Ancien Testament à droite). Quelle signification peut avoir ce détail ?


 Remarque concernant la structure du panneau :

Celle-ci est dans la continuité de la partie droite de la tapisserie précédente (voir Jésus et Marie Madeleine) : aux extrémités de droite et de gauche, on distingue quatre petits personnages en costume médiéval dressés tels des statues dans des niches gothiques : ce sont les psalmiste et prophètes de l’Ancien Testament qui déroulent les rubans de parchemins contenant les versets. Rappelons que dans les tapisseries qui illustrent la vie de Jésus avant sa vie de Ressuscité, la structure est différente. (voir le tombeau vide).
Les textes explicatifs sont toujours inscrits dans deux phylactères.
Les armoiries sont moins visibles ; on retrouve l’écu à cinq fuseaux de l’Abbé de Sennecterre sur le pignon de la maison.

 Remarque concernant l’iconographie de cette œuvre du tout début XVIème siècle :

L’apparition de Jésus à Marie Madeleine ( Noli me tangere, du latin « ne me touche pas ») et l’apparition de Jésus à St Thomas («  Avance ton doigt ici…sois croyant ») sont deux scènes qui auront inspiré la création artistique dans l’art occidental ; en effet, dès les premiers siècles, Sainte Marie Madeleine et Saint Thomas, ont  suscité une très grande vénération populaire tant ils ont été considérés comme des modèles pour la foi chrétienne.



La "Minute Culturelle"  revient fin mai pour suivre le temps liturgique et présenter la tapisserie consacrée à l’Ascension !
Merci à Isabelle T. du temps consacré à ces exposés.
Retrouvez les précédents articles ici :
- Introduction
- La Cène 
- La Résurrection
- Pâques des Saintes Femmes 


Crédits Photo
  • tapisserie entière et détails : A.Thiébaut/S.A.E.P.
  • scène centrale : (c)La Casadéenne

Commentaires