La Minute Culturelle : La descente aux enfers

Pour la fête de la TOUSSAINT, nous vous proposons de contempler la TAPISSERIE DE LA CHAISE-DIEU intitulée LA DESCENTE AUX ENFERS. 

 « Jésus Christ (...) est mort et a été enseveli, est descendu aux enfers, le troisième jour est ressuscité des morts, est monté aux cieux, est assis … » proclamons-nous dans l’une des plus anciennes professions de foi catholique, le Symbole des Apôtres. Les enfers, limbes ou encore Shéol ou Hadès ne sont pas l’Enfer, ou Géhenne, règne du démon et de la mort éternelle, mais «le séjour des morts» lieu et temps où étaient retenues les âmes des Justes de l’Ancien Testament. 

Dans le Credo, l’énoncé « est descendu aux enfers » arrive après « crucifié », « mort », et « enseveli », et avant « ressuscité des morts ». Or LA DESCENTE AUX ENFERS, 17ème tableau de l’ensemble des 25 scènes bibliques de l’œuvre textile, est curieusement placée entre LE PORTEMENT DE CROIX et LA MISE AU TOMBEAU. (Précisons que LA CRUCIFIXION, tapisserie carrée et très grande, occupe une place à part dans l’abbatiale.) LA DESCENTE AUX ENFERS est un triptyque qui retient donc l’attention par sa position dans l’ordre des épisodes, et par sa longueur. Y répondent les triptyques particulièrement grands aussi qui célèbrent la Résurrection. Nous verrons que ce choix iconographique correspond à une intention didactique : la descente aux enfers est une vérité dogmatique incontestable et essentielle qui doit frapper le regard des moines. 

En cette Solennité de la Toussaint, les Saints que nous honorons ne seraient-ils que ceux, connus ou inconnus qui ont existé après la Résurrection du Christ Sauveur de tous les hommes ? Par ailleurs, que l’on parle des Enfers ou de l’Enfer, on pose la question du diable et de la mort ; quels enseignements nous en donne cette tapisserie ? Nous verrons que LA DESCENTE AUX ENFERS, avec sa scène centrale du Nouveau Testament et ses scènes latérales de l’Ancien Testament est sur un plan didactique et artistique une œuvre originale et exceptionnelle. Rappelons qu’elle a été installée dans le chœur de l’abbatiale en 1518.

PARTIE CENTRALE : LE CHRIST DESCENDU AUX ENFERS - Jésus va à la rencontre des défunts de l'Ancienne Alliance

Son corps est marqué des signes de la Passion et de la mort, et Il porte déjà sa tenue de Ressuscité : cape royale en mouvement, croix glorieuse (avec un rameau d’olivier ou est-ce un arbre vert ?), oriflamme comme soulevé par un souffle.  Il avance paisible et triomphant mais sa démarche est curieusement dansante, comme s’Il flottait dans ce décor qui associe vision de la Jérusalem Céleste au tapis de fleurs renaissantes, et vision du Démon et de son domaine avec une tache sombre et massive. A ses pieds, on voit les lourdes portes des Enfers renversées aux ferrures brisées.

Sauveur, il tend la main à Adam et Eve très reconnaissables (voir la tapisserie de l’Annonciation avec le péché dans le jardin d’Eden) mains jointes, soumis et obéissants. Ils sont suivis par une foule, celle des patriarches et des prophètes de l’Ancien Testament, et tous sont nus, dépouillés de leurs atours terrestres, les yeux ouverts, pressés et impatients, tournés vers le Salut.

Les Enfers, sont représentés par une cavité gigantesque aux multiples gueules dévorantes. Remarquons par ailleurs le remarquable travail de trait stylisé et de tissage de ce détail →

Le monstre est effrayant avec ses huit têtes cornues et grimaçantes. Cette image n’est pas sans rappeler le Léviathan des tympans romans ou les affreuses bêtes infernales de Jérôme Bosch (1450-1516). Les Enfers mènent à l’Enfer, sous l’empire de « l’énorme dragon, l’antique serpent, le Diable ou le Satan, comme on l’appelle, le séducteur du monde entier » Ap 12, 9.

Le Leviathan - détail du tympan de l'Abbatiale Ste Foy de Conques

 

L’ensemble du tableau rappelle ces versets de psaume : « Ils criaient vers Yahvé dans la détresse, de leur angoisse il les a délivrés, il les tira de l’ombre et de la ténèbre et il rompit leurs chaines, de leurs angoisses il les a délivrés, à la fosse il arracha leur vie » (Ps107). Ou encore ces versets de Matthieu : « Et voilà que le voile du sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s’ouvrirent et de nombreux corps de saints trépassés ressuscitèrent : ils sortirent des tombeaux après sa Résurrection, entrèrent dans la Ville Sainte, et se firent voir à bien des gens. » (Mt 27, 51-53).

Précisons ici que ces versets de l’évangéliste suivent la phrase « Or Jésus, poussant de nouveau un grand cri, rendit l’esprit » et se situent donc dans le récit de la Passion du Vendredi Saint, avant l’ensevelissement et la mise au tombeau.

Jésus est donc représenté léger, aérien et dansant ; pourquoi ? La 1ère Épître de Pierre pourrait apporter une explication : « Mis à mort selon la chair, il a été vivifié selon l’esprit ; c’est en lui qu’il s’en alla même prêcher aux esprits en prison … » (1P 3, 18-19). Jésus n’étant pas encore ressuscité et vivant dans son corps glorieux, seule son âme est descendue à la recherche des défunts, ces « nombreux corps de saints trépassés ». Les défunts eux même sont « esprits », raison pour laquelle ils sont montrés animés dans le monde des Limbes. Le péché et la mort ont séparé Adam et Eve de la Vie donnée par le Créateur et c’est par eux, suivis par les Justes de l’Ancienne Alliance que commence la Rédemption qui s’annonce pour tous les hommes. Vainqueur du péché, Jésus a percuté la Mort, il la pénètre et vainc son maitre, le Démon. Le salut est la Nouvelle Alliance qui ouvre les portes de la Ville Sainte. « La mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. De même en effet que tous meurent en Adam, ainsi tous revivront dans le Christ. » (1Co15, 21).

Cette DESCENTE AUX ENFERS est une œuvre tout à fait originale dans l’iconographie religieuse occidentale. Le Père Abbé de l’abbaye, commanditaire des tapisseries a voulu lui donner un éclat et une place importante sur le plan artistique et catéchétique. Autrefois destinée aux moines du début XVIème, cette scène enrichissait leur catéchèse et elle complète pour nous la Bande Dessinée de l’Histoire du Salut.

 

Dans l’histoire de l’art, on trouve aussi une singulière « Descente du Christ aux enfers » de Fra Angelico (v 1400-1455) : nous y voyons Jésus, porte du Shéol renversée, à la rencontre des défunts de l’Ancien Testament déjà auréolés et les attirant à Lui dans sa tenue de Ressuscité. Un diable se détourne vers la gauche.


 

 

Dans l’iconographie orientale, chez les Chrétiens orthodoxes, la Descente aux Enfers est la forme sous laquelle est traitée La Résurrection.  Sur les icônes, ce thème est même très présent et populaire. Il porte le nom particulier d’Anastasis en grec : la Résurrection du Christ et sa descente dans le Shéol.

 

L’image centrale de la tapisserie est accompagnée de « commentaires », qui font le lien entre le Nouveau Testament et l’Ancien Testament. Ainsi, de part et d’autre, on trouve ces versets présentés par le Roi David (couronné) et les prophètes Osée et Zacharie :

  • « Il a brisé les portes de bronze et mis en pièces les verrous de fer » (Ps 107, 16) 2 fois, à droite et à gauche. 
  • « Et je les libérerais du pouvoir du Shéol ? de la mort je les rachèterais ? » (Os 13,14) 
  • « Par le sang de ton alliance, tu as fait sortir de la fosse ceux qui étaient enchainés » (Za 9, 11)
PARTIE GAUCHE : LOTH ET SA FAMILLE SAUVÉS HORS DE SODOME PAR L'ANGE DE DIEU - Gn 19

 

Au 1er plan, Loth, en riche costume, chapeau en main, quitte Sodome, conduit par un ange blond aux ailes déployées. Il quitte la ville fortifiée en proie aux flammes. Derrière lui, sa femme, est changée en statue de sel parce qu’elle s’est retournée : sa tête enturbannée est tournée vers l’arrière ! Les deux élégantes jeunes filles sont les filles de Loth.

Dans le phylactère, le texte explique : « Loth et sa famille sont retirés de Sodome par l’Ange pour fuir la destruction de la ville ; ainsi Dieu les préserve de la mort. Ainsi, Adam et tous les hommes vénérables des anciens temps sont retirés des limbes par le Christ, afin de n’être pas torturés avec les réprouvés, mais de posséder la Vie éternelle.»

 

 
PARTIE DROITE : L'ANGE DE DIEU PROTÈGE LES 3 JEUNES GENS JETÉS DANS LA FOURNAISE - Dn 3,8-30

Sur l’ordre du roi Nabuchodonosor, (à la grimace peu sympathique), le bourreau attise le bucher de sa fourche et, la fournaise étant excessivement brulante, il préserve son oreille de la chaleur tandis que la pointe de son épée est rougie par le feu. Les trois enfants aux visages charmants, au milieu des flammes chantent des hymnes à Dieu. Ils sont protégés par l’ange qui impose ses mains au-dessus de leurs têtes.

Le phylactère explique : « Le roi Nabuchodonosor fit jeter les trois jeunes gens dans la fournaise ardente, mais un ange de Dieu vint les préserver des ardeurs du feu. Ainsi le diable emmena prisonniers dans les enfers nos anciens pères, mais, dans sa bonté, notre Rédempteur descendit les délivrer. »


La catéchèse à retenir :
 
Elle résume toute l’histoire du Salut. La scène qui se déroule marque la rencontre de l’Ancien et du Nouveau Testament, comme l’accomplissement dans la Nouvelle Alliance de l’Ancienne Alliance, ou encore « l’accomplissement jusqu’à la plénitude de l’annonce évangélique du Salut » (Catéchisme de l’Eglise Catholique). Elle nous montre Adam et Eve nus tels qu’ils ont été chassés du jardin d’Eden, mais réconciliés dans l’harmonie d’un même pas et repentis dans la délivrance qui s’opère. Elle condense en une image les vendredi, samedi et dimanche de Pâques, renvoie au mystère de mort et de vie du Triduum Pascal. « Le Christ lui-même est mort une fois pour les péchés, juste pour les injustes, afin de nous mener à Dieu » (1 P 3, 18). 
La foule de ceux qui suivent Adam et Eve est ici celle d’avant la Venue du Sauveur, mais elle symbolise aussi tous ceux hommes et femmes qui sont venus après et viendront encore ensuite. Car Jésus sauve tous les hommes, de tous les temps, ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui, ceux de demain. Les Saints d’avant et les Saints d’après tous sauvés du péché et de la mort sont entrainés à la suite de Celui qui est monté aux cieux et leur ouvre le Royaume de Dieu pour l’Éternité. « Jésus-Christ, en descendant dans la nuit de la mort (…) prend Adam et Eve par la main, tous les hommes en attente, Il les conduit à la Lumière » écrit Benoit XVI. 
En cette fête de la Toussaint, les saints de tous les temps forment l’immense cortège qui au Ciel clame « Alléluia ! Salut et gloire et puissance à notre Dieu. » Ap 19,1

Pour en savoir plus : Catéchisme de l’Église Catholique, numéros 632 à 637

La prochaine Minute Culturelle est programmée pour fin novembre avec la tapisserie du Jugement Dernier. D'ici là, prenez soin de vous !
Merci à Isabelle Thiriez du temps consacré à ces exposés.
Retrouvez les précédents articles ici :
- Introduction
- La Cène
- La Résurrection
- Pâques des Saintes Femmes
- L'apparition à St Thomas
- l'Ascension
- La Pentecôte
- Le couronnement de Marie

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