La Minute Culturelle : Le Jugement Dernier

Le « Christ, Roi de l’univers » est une solennité que l’Église fête au terme de l’année liturgique, et, cette année 2020, le dimanche 22 novembre.
A cette occasion, nous vous proposons de contempler l’impressionnante tapisserie de la Chaise-Dieu intitulée « LE JUGEMENT DERNIER ». En effet, dans les Écritures et dans l’art, le Christ « Roi du cosmos » est aussi le Christ « juge de la fin des temps ». Il n’y a d’ailleurs pas de date liturgique consacrée à une fête du jugement dernier ! Ici « LE JUGEMENT DERNIER » nous parle de la miséricorde du Christ, roi et berger, et nous invite à l'espérance.

Si la fête du Christ Roi a été instituée par le Pape Pie XI en 1925, la souveraineté du Christ est célébrée dès les premiers temps du christianisme avec les termes Christ "en gloire", "triomphant", ou "en majesté" ou encore "pantocrator". On trouve ce thème représenté en Orient : fresques, mosaïques, icones byzantines et orthodoxes, et en Occident : enluminures, orfèvrerie, fresques, et sculpture. Sur les tympans ou porches romans et gothiques de nos églises et cathédrales, le Christ "glorieux" est associé au Christ "de la fin des temps" et du "jugement dernier", thème dominant à partir du XIIème siècle. 

Mosaïque du baptistère Saint-Jean (Florence), XIIIème

Christ Pantocrator - Icône du XIIIème (Musée d'art de Laroslav)

Tympan de l'abbaye Ste Foy de Conques, XIIème


A la Chaise-Dieu, la tapisserie « LE JUGEMENT DERNIER », comme l’ensemble de la tenture est inspirée de manuscrits et estampes médiévaux ; ceux-ci ont pour source les Ecritures, la Tradition et le Credo. Les "draps imagés" commandés par l’Abbé de St Nectaire suspendus dans le chœur de l’abbatiale en 1518, sont non seulement un chef d’œuvre de la tapisserie flamande, mais aussi une exceptionnelle catéchèse que nous pouvons encore méditer et contempler aujourd’hui. 


Quel Christ trouvons-nous sur la tapisserie de la Chaise-Dieu ? Quel enseignement l’Abbé commanditaire a-t-il voulu donner à ses moines, et que nous dit cette merveilleuse BD catéchétique ?
 

LE JUGEMENT DERNIER est la dernière des 11 tapisseries qui illustrent la Vie du Christ et de Marie depuis l’Annonciation jusqu’au Jugement dernier, en 27 épisodes du Nouveau Testament accompagnés de 47 de l’Ancien. Elle est donc la scène finale de l’œuvre textile de 2 mètres de haut et 65 mètres de long. Le panneau se présente singulièrement sous la forme d’un diptyque, c’est-à-dire en deux parties : la scène du Nouveau Testament et une seule préfiguration de l’Ancien Testament, sur son côté gauche.
Pour les chrétiens, l’histoire du Salut ne se termine pas avec le Jugement dernier : ce que nous espérons, dans la foi, est déjà là, et nous verrons comment l’Abbé de la Chaise-Dieu en donne à ses moines comme à nous, une vision éblouissante !


PARTIE DROITE : LE JUGEMENT DERNIER

Occupant la place centrale, le Christ « monté aux cieux, assis à la droite de Dieu le Père tout puissant, d’où il viendra juger les vivants et les morts » (Symbole des Apôtres) ; « Il reviendra dans la gloire, pour juger les vivants et les morts, et son règne n’aura pas de fin » (Symbole de Nicée).


Il est assis, non sur un trône mais sur un arc-en ciel et dans une position dominante ; il est "au-dessus de toute autorité, pouvoir, puissance et souveraineté", car le Père "a tout mis sous ses pieds" (Ep 1, 20-22). Il est vêtu de sa cape pascale pourpre soulevée comme par un souffle, et il porte les marques de la passion. Ses bras sont levés dans le geste du pouvoir et de la justice. De part et d’autre de sa tête, la fleur de lys éclatante de blancheur, toute en fils de soie, et le glaive à lame effilée et brillante. L’arc en ciel est signe de paix et rappelle l’Alliance : Ancienne alliance de l’Ancien Testament accomplie dans la Nouvelle alliance du Nouveau Testament. Le lys manifeste la miséricorde, le glaive figure l’épée tranchante de la vérité et du jugement.

Quelle est la nature du jugement du Fils de l’Homme ?

« En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors Il siègera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui, il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs. » (Mt 25, 31-46) L’iconographie que nous contemplons illustre parfaitement l’évangile de Matthieu, celui-là même que nous donne la liturgie en cette Solennité du Christ, Roi de l’univers : « Venez, les bénis de mon Père » exprime la main droite bénissant et "Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits » exprime la main gauche qui repousse. Le juge est comparé à un berger, et ce berger est un berger de miséricorde comme nous le rappellent les textes de la solennité du Christ Roi : « Voici que moi-même, je m’occuperai de mes brebis…Comme un berger … » (Ez 34, 11-12.15-17) et « Le Seigneur est mon berger… » (Ps 22).

Les paroles et la composition « Il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche » :

A la droite de Jésus nous voyons « les justes » ; sortant des tombes, ressuscités, mains jointes, tournés vers le ciel et paisibles, ils sont accueillis par Pierre reconnaissable à sa clé. En cortège ils passent par « la porte étroite du ciel » (Mt 7,13) salués par les anges pour entrer dans « la vie éternelle ». Pierre aide de sa main une femme blonde, symbolisant l’Eglise qui se fait médiatrice des hommes.
A gauche de Jésus, nous voyons « les maudits » ; leurs corps tordus, torturés sont renversés et happés par les flammes et des bêtes violentes et repoussantes. Le démon est gueule d’enfer, multiformes et multi-têtes, affublé d'attributs animaux : dents, cornes, oreilles démesurées, ailes de chauve-souris, têtes de crapauds, écailles, griffes, mamelles … on remarque le sceptre crochu du prince des ténèbres, et des caractéristiques qui renvoient aux différents péchés, mensonge, luxure, orgueil, … etc. Les visages masculins et féminins des damnés tombés dans « le feu ou châtiment éternel » sont effrayants.

Au centre de la composition, se dressent une frêle silhouette implorante et le buste d’un moine tonsuré à l’expression interrogative ; en attendant l'heure de la mort n'est-ce pas un avertissement adressé aux moines ? Ne vaut-il pas pour nous aussi ?


PARTIE GAUCHE : LE JUGEMENT DE SALOMON - 1 Roi 3, 16-28

Salomon, assis sur un trône à baldaquin, porte la couronne, le col d’hermine, et le sceptre du roi. A ses côtés, deux femmes magnifiquement habillées et coiffées lui adressent leur requête de leurs mains expressives. A leurs pieds, deux enfants, l’un enveloppé de linges, tel un nourrisson, est inerte et mort, l’autre est en mouvements car vivant. Un personnage à la taille démesurée, au visage caricatural figure le sinistre bourreau muni d’une épée luisante. Les deux mères sont venues trouver Salomon pour réclamer la possession du bébé qui dans la nuit a échappé à la mort. Le roi ordonne « Partagez l’enfant vivant en deux et donnez la moitié à l’une et l’autre moitié à l’autre ». On reconnait la vraie mère pleurant et suppliant à ses mains croisées sur sa poitrine « S’il te plait Monseigneur, qu’on lui donne l’enfant vivant, qu’on ne le tue pas ! », tandis que l’autre, jalouse discute « il ne sera ni à toi ni à moi, partage-le ! ». De son doigt Salomon désigne la vraie mère et dit « donnez l’enfant vivant à la première, ne le tuez pas, c’est elle la mère ».

Le texte du phylactère explique : « Le sage Salomon mû par une vive intuition, adjugea avec une très grande sagesse le fils à sa mère ; de même, le Christ dans son ineffable sagesse, décernera avec une très grande rectitude, à chacun, selon ce qu’il aura fait ».

Les versets confirment : « Je te jugerai selon ta conduite » (Ez 7, 3)
« Le Seigneur jugera le juste et l’impie » (Qo 3, 17)

Quelle catéchèse retenir de cette tapisserie ?

Le jugement de Salomon est une préfiguration du jugement du Fils de Dieu : le roi par son discernement et sa sagesse a fait éclater la vérité, et triompher l’amour et le sacrifice, donnant à la vraie mère la joie de la garde de son enfant. Ainsi le Christ mettra en lumière ce qui habite le cœur de chacun. Il comblera et conduira au salut ceux qui envers leur prochain auront choisi de vivre des actes de charité. 
« En vérité, je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères c’est à moi que vous l’avez fait ». (Mt 25, 40). Le jugement sera un jugement de justice et de miséricorde, « le Fils n’est pas venu pour juger mais pour sauver » (Jn 3, 17) et le Salut promis se réalisera définitivement dans la « vie éternelle » (Mt 25,46). 


La catéchèse de la Chaise-Dieu est toujours d’actualité, et nous la retrouvons aujourd’hui dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique ! « En venant à la fin des temps juger les vivants et les morts, le Christ glorieux révélera la disposition secrète des cœurs et rendra à chaque homme selon ses œuvres et selon son accueil ou son refus de la grâce ». (CEC 682)
L’histoire du Salut ne s’arrête pas au Jugement dernier … nous sommes créés pour le Royaume des Cieux, telle est la récompense promise aux justes qui « recevront de la main du Seigneur la couronne de gloire et le diadème de beauté » (Sg 4,15). Comme les moines, nous contemplons la réalisation de cette promesse en Marie, Reine du Ciel : la tapisserie « LE COURONNEMENT DE MARIE » précède « LE JUGEMENT DERNIER ». Admirons la splendeur de cette œuvre en cette fête du Christ Roi et qu’elle soutienne notre espérance !


Merci beaucoup à Isabelle Thiriez pour ce nouvel exposé ! Nous nous retrouverons pour la Fête de l'Immaculée Conception le 8 décembre prochain.

Retrouvez les précédents articles ici :
- Introduction
- La Cène
- La Résurrection
- Pâques des Saintes Femmes
- L'apparition à St Thomas
- l'Ascension
- La Pentecôte
- Le couronnement de Marie
- La descente aux enfers

Bibliographie :
- Mialon - La Chaise-Dieu, son trésor, son message; Ed La Casadéenne, 1978
- Caillies P.Marie-Bernard, csj - La Chaise-Dieu, Tapisseries et Danse Macabre; Ed La Goelette, 1991
- Amis de l'Abbatiale Saint-Robert de La Chaise-Dieu - La dignité de la femmes dans les tapisseries de La Chaise-Dieu; Ed de Mons, 2019
- Bible de Jérusalem
- Catéchisme de l’Église Catholique

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